Pulau Duyong Besar est un vestige, une petite merveille qui a survécu, on ne sait comment, à la frénésie de modernisme qui envahit la Malaisie depuis quelques décennies. Au milieu du fleuve Terengganu, ce petit bout de terre nous plonge avec bonheur dans la vie traditionnelle malaise telle qu’elle était il y a encore trente ans. Maisons sur pilotis, animaux de basse-cour qui vont et viennent entre les rires des enfants ; c’est ici que vit Awi Wan Othman, un des derniers constructeurs de bédors. Son art, il l’a appris de son beau-père, qui était capitaine. Comme lui, il travaille sans plan, sans balance et, surtout, sans ordinateur. Tout se fait de mémoire et d’expérience. Le résultat est saisissant et les fameux bateaux de Pulau Duyong Besar sont un exemple de réussite dans le monde de la navigation.
Entourée par la Mer de Chine méridionale et le Détroit de Malacca, la Malaisie fut pendant des siècles une terre privilégiée pour les marins et les pêcheurs. Ce sont eux qui la surnommèrent "le pays où les vents se rencontrent". Ce sont eux encore qui ont contribué à la prospérité du pays et qui voient, aujourd’hui, leurs bateaux remplacés par des voitures, des camions, des trains. On n’arrête pas le progrès. On participe, ahuri, à l’extinction inexorable des traditions. Pourtant dans le Terengganu et le Kelantan, sur les rives de la côte est, des hommes perpétuent de père en fils et de bouche à oreilles ce savoir-faire séculaire.
Bien sûr, au cours des siècles l’art du bédor s’est enrichi de nombreuses influences ; chinoises, puis françaises au XIXe siècle, et enfin malaise. On attribue toutefois les origines de cette jonque unique en son genre au peuple Cham qui, selon des chroniques de voyageurs bouddhistes du VIIe siècle, avaient déjà acquis une réputation en matière de construction navale. Originaires de l’ancien Royaume de Champa (Vietnam), les Chams, contraints par de nombreuses guerres à quitter leur terre natale entre le XVe et le XVIIIe siècle, émigrèrent en Thaïlande et dans le Terengganu. Léguant ainsi à la côte est un de ses plus précieux héritages culturels. Pendant des centaines d’années, les bédors ont transporté sel, tissus, soieries, riz, médicaments, objets de cuivre et d’étain dans le Golfe du Siam et la Mer de Chine, de Saigon à Bangkok et de la Malaisie à Singapour.
La fabrication des bédors a cessé avec la deuxième guerre mondiale. Les voitures et les ponts assuraient désormais le transport des marchandises. Après les années 50, les bédors ne firent plus que la route du sel ou du charbon, de Terengganu à Pattani et Ban Lai, dans les environs de Bangkok. En 1975, on n’en comptait plus que quinze dans le port de Terengganu et, aujourd’hui, il n’en reste que deux.
Par passion, et à la demande des Occidentaux, Awi et sa femme, Christine Longuet, ont relancé la tradition. Au XXIe siècle, les bédors sont toujours fait avec le fameux bois de fer (cengal) qui, dit-on, résiste à la mer pendant un siècle. Mais le progrès, là aussi, a trouvé sa place. "Les Occidentaux veulent la durabilité et la fiabilité des anciens matériaux mais avec l’apport des tout nouveaux gadgets de navigation : communication radio, navigation par satellite, moteur diesel d’appoint, et tout le confort sanitaire", commente Christine Longuet. Alors le bédor, comme une bonne partie de l’Asie, s’est adapté à la modernité. "Plus personne ne veut apprendre à construire des bédors ou des bateaux de pêche, constate Awi. C’est trop dur, c’est trop long. Etre charpentier ou pêcheur pour un jeune, ce n’est pas attractif. Les salaires sont trop maigres et le travail trop contraignant."
Pourtant, à l’instar de Pulau Duyong Besar, il existe d’autres îlots qui résistent encore aux aguiches prometteuses de la société de consommation. A quelques heures de l’île aux bédors, aux portes de la Thaïlande, le temps semble avoir suspendu son vol.
Entre la plage "de l’amour passionné" et celle "de la brise qui murmure", par-delà la jungle et les rizières, se cache le petit village de Sabak, témoin paisible et singulier du mode de vie malais avant le boom économique des années 70. La plupart des maisons sont encore en bois, bien que les toits de palme aient été remplacés de-ci de-là par de grandes plaques de zinc. Et comme ailleurs, le béton éclabousse le paysage de sa grisaille.
Cependant, pêcheurs et charpentiers persistent à se lever aux aurores pour rejoindre l’océan ; à prendre le temps de peindre leurs bateaux, de sculpter proue et poupe, de faire de leurs embarcations une ouvre d’art ; de vivre aux mêmes rythmes, aux mêmes rites, immuables. Ici, la construction des bateaux traditionnels a gardé tout son sens : la pêche.
A 14 heures précises, une dizaine d’embarcations colorées regagnent le port de Sabak par la lagune. Sur la berge, les petites échoppes ont préparé le thé, les roti chenaï et le curry de poisson. Les femmes attendent et les fourgonnettes des gros revendeurs sont aux premières loges pour emmener le meilleur de la pêche vers la capitale ou Singapour, assurant ainsi aux pêcheurs un salaire de base. Le solde approvisionne le village et les marchés avoisinants. Assurant ainsi, depuis des siècles, le repas quotidien de ceux que l’on appelle "les mangeurs de poissons".
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A lire avant de partir et à emporter sur place le guide Malaisie, paru aux éditions Olizane, Genève
cet article a paru dans le numéro de décembre 2001 de Sports & Loisirs
Les blogs comme celui-ci nécessiteraient d’être bien plus présents sur la toile. Je vous remercie pour votre travail et je guette vos futurs articles.
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